Les fêtes de Bann
Dans les années 60, Yaruch Bann organisa ce qu'on appelle les fêtes de Bann. Il faut y voir la même définition que celle des fêtes ordinaires, mais avec bien sûr la patte artistique de notre ami Jamais Satisfait. Organisées dans de grands pavillons arcachonnais, elles rassemblaient généralement, entre autres, de grands artistes mystérieux aux personnalités débridées. Je laisse maintenant la place au témoignage d'Edmond Pénélope, LE spécialiste de Bann:
"Je me souviens qu'à l'époque, être invité à une fête de Bann était très flatteur, et c'était surtout un passeport fantastique pour quiconque voulait avoir une place dans l'ascenseur social horizontal d'Arcachon. J'ai souvent été invité à ces fêtes, et je dois dire que j'en conserve un souvenir fabuleux, teinté d'une couleur inexprimable et inhérente aux siquestises.
A vrai dire, même si la Chenille Bleue [le surnom que Pénélope donne à Yaruch Bann, ndr] a toujours été très attaché aux valeurs de démocratisation de tout ce qui pouvait sortir de son cerveau, il était très sélectif en ce qui concernait les invités. J'ai une fois assisté aux préparatifs d'une fête bannienne: Yaruch était là, accompagné d'un type que je ne connaissais pas, qu'il appelait Sextus Bigorneau et qui passait son temps à casser des poupées russes avec ses dents.
Quelque chose me frappait, dans le choix des invités: tout donnait l'impression que ces deux gars écrivaient une pièce de théâtre. Le jour où j'ai fait cette remarque, la Chenille Bleue m'a jeté un regard de paquebot, et m'a froidement demandé de sortir, et au moment de franchir la porte, l'autre m'a balancé une poupée russe sur le crâne. (...)
Les fêtes de Bann étaient ce genre d'événements où le temps donnait l'impression de s'être arrêté pour laisser la place aux farfadets nocturnes qui pensent à l'envers et comptent leurs doigts à rebours. C'était comme si les invités n'existaient qu'à ces moments là; chacun venait avec sa veste, son carton d'invitation et sa nouvelle personnalité. Moi-même, après plusieurs expériences, j'ai pris le pseudonyme de Quintus Ecrevisse.
Je me souviens d'un type, pittoresque à en vomir des fleurs de joie, qui était devenu une vraie légende. Personne ne connaissait son vrai nom, ni sa vie, mais tout le monde l'appelait Pamphlet, à cause de la première fois où sa caractéristique s'était manifestée: un invité avait refusé de lui servir à boire, et, ivre de rage et de cognac, il avait bredouillé d'une voix droite "Puisque c'est comme ça, je vais écrire un pamphlet sur toi!", s'était assis dans un coin avec du papier et un crayon, et plusieurs minutes plus tard, il était revenu voir le convive en question pour lui remettre sa composition. Pamphlet ne se limitait pas à ce genre littéraire, bien sûr, chaque événement était prétexte à l'écriture de quelque chose. J'ai moi-même encore un sonnet qu'il m'avait dédié, et qui s'appelle "Merci de m'avoir passé les olives".
Les fêtes de Bann étaient bourrées de personnes de cette trempe, qui donnaient l'impression de vivre une pièce de théâtre de Ionesco ou un roman de Vian. En fait, quand j'y réfléchis, je pense qu'on vivait des pièces de théâtre de Bann. Pamphlet me manque. Le type aux poupées russes me manque, aussi. Bon sang, quelle époque bénie!"
Ces fêtes ont considérablement marqué les esprits et l'art de l'Arcachon de l'époque, et hormis les témoignages d'Edmond Pénélope, de nombreux artistes ont raconté ces fêtes, de façon réaliste ou non(et parfois peu importe). Bann lui-même a décrit ces événements dans ses Carnets de fêtes, et j'aurai très bientôt l'occasion de vous en recopier des extraits.