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Le Pont des amants de l'amant
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14 août 2007

Jean le Rationnel

"Pour toute musique d'ambiance, la pluie d'été frappait les larges carreaux de l'hôtel loué par la Chenille Bleue.   

Afin de mieux butiner le pittoresque atemporel  de la soirée, j'allais de groupes en groupes et j'essorais la poésie qui gouttait de cette vaste mascarade bannienne. C'est alors que je rencontrai un de ces personnages banniens qui rodaient dans les fêtes de Bann: il était là, un verre à la main, à discuter avec un autre invité qui tenait en laisse un cochon vivant -j'appris plus tard que l'animal se nommait Philip D. Noodle et était l'auteur légal du recueil de poèmes Pastorales dans la mangeoire, publié par Bann en 1959. D'abord attiré par le charisme hypnotique du cochon, je m'approchai discrètement des deux hommes en me dissimulant derrière deux feuilles de salade. Je ne sais plus précisément ce qu'ils se disaient, mais je me souviens qu'au moment où me venaient deux vers lyriques sur la présence de Philip D. Noodle, mon esprit fut interrompu dans sa rêverie par l'interlocuteur de son propriétaire:

"En imaginant que la malédiction soit éternelle, elle frappera inévitablement ses enfants, et les enfants de ses enfants, et les enfants de ces enfants, et les enfants de ces enfants, et les enfants de ces enfants..."

La répétition aurait pu être anecdotique si elle ne s'était pas étonnamment prolongée: plusieurs minutes passèrent, et la suite logique se perpétua. Devant le regard interrogateur des personnes présentes, l'homme se saisit d'une ardoise à proximité, et y écrivit:

"Je ne m'arrêterai qu'à ma mort, sans quoi je trahirais le langage."

Ce fut d'abord un rire général qui accueillit ce message, mais lorsque la phrase dépassa une demi-heure, chacun comprit que notre ami était sérieux. La terreur et l'impuissance nous accompagnèrent encore trente minutes: les invités, dont j'étais, essayaient de le raisonner, en vain. Déjà, certaines personnes faisaient leur deuil: un certain Jacques Erribinioun improvisa même des funérailles. Ce fut d'ailleurs magnifique: la justesse lacrymogène de ses mots nous toucha tous, et lorsqu'il aspergea le futur-défunt d'une motte de terre trouvée dans un pot de fleur, peu nombreux furent ceux qui gardèrent l'oeil sec.
Alors, Yaruch Bann entra, nonchalant. En un regard, il eut l'air de comprendre la situation: il s'avança sereinement de l'invité, joignit ses mains en un poing, et le fit tomber tel un marteau sur le sommet de son crâne. L'homme, assommé, s'effondra. Quand il se réveilla, Yaruch lui affirma que sa perte de conscience avait interrompu et donc invalidé le sens de sa tirade, et qu'il était donc  désormais caduc d'offrir sa vie en hommage au langage.

Le déclamateur, qui s'appelait Albert, hérita du surnom de Jean le Rationnel, en raison de son attitude -qui se vérifia par la suite- de génufléxion constante devant la rationalité du langage, et de la vie en général.
Jean le Rationnel devint alors un des personnages forts des nombreuses fêtes de Bann, jusqu'à sa disparition subite et inexpliquée, en 1969, avant laquelle il affirma être Yaruch Bann lui-même, ainsi que le Grand Poulet d'Occident, personnage politique que peu de personnes connaissaient alors.

En ce qui concerne mes vers sur Philip le cochon, je les oubliai, mais lorsque j'en fis part à Bann, il me dédommagea, malgré mes protestations, en m'offrant cinquante francs et un sourire. Lorsque je lui demandai en quoi il était responsable de l'attitude de Jean, il eut un bref regard inquiet, puis se jeta sur moi, et essaya de me faire gober une noix de coco, sans succès."

Il s'agissait bien sûr d'un autre témoignage de fête de Bann par Edmond Pénélope.

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Commentaires
A
Non mais Hadrien ! Je vous assure, cher Gérald, que mon exclamation se voulait enthousiaste, et qu'elle n'a rien à voir avec un quelconque désoeuvrement. On rêve... car je suis débordée !
H
Oh, je n'en suis pas sûr, la pauvre est désoeuvrée... Comme moi : Ouiii ! Gerald Pessoa est de retour et Yaruch avec lui.
G
Hé oui! Pardonnez ce long silence, mais tout le monde a besoin de vacances!<br /> Cela dit, ce ne furent pas des vacances purement oisives: j'ai consacré une petite partie de mon temps à recopier sur fichier texte des oeuvres complètes de Bann; j'espère avoir fini très bientôt (aussi merveilleux que soient ces textes, c'est un travail long et fastidieux)et vous en faire profiter.<br /> <br /> Quoi qu'il en soit, merci à mademoiselle Apostille: votre enthousiasme est le plus efficace des encouragements!
A
Ouiii ! Gerald Pessoa est de retour sur le Pont.
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