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Le Pont des amants de l'amant
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15 septembre 2007

Edmund et les ours explosifs

Nous y venons enfin: Edmund et les ours explosifs, fer de lance de l'oeuvre romanesque de Bann, est une oeuvre dont l'immense qualité est malheureusement inversement proportionnelle à sa popularité, ce qui, et je ne pense pas me mettre trop en danger en affirmant cela, s'applique à la quasi-totalité de l'oeuvre de notre ami arcachonnais.
Mais je ne compte pas aujourd'hui  m'attarder en prolégomènes exégétiques, et préfère vous laisser découvrir par vous-même les deux premiers chapitres:



I

 

Une micropluie d’huile de moteur coulait par intermittence sur le sol fragmenté de la grange. Edmund croyait y reconnaître un rythme ternaire de jazz, puis ne croyait plus rien : son esprit se déconnectait, et comme il aimait le faire, il cessait d’être là.

Il y avait là quelque chose d’assez amusant : d’abord, il pouvait se voir lui-même, par une sorte de projection astrale ; il voyait donc lui, Edmund, faire semblant d’adopter des grimaces naturelles et communes, et au final, il devenait son propre public - d’une certaine manière, il se demandait si, au fond, jouer à être comme les autres, ça n’était pas la clé du comportement de tous ceux qui vivaient autour de lui, et si l’uniformité des attitudes humaines n’était pas un vaste quiproquo.

Et puis, ça lui permettait de ne plus rien ressentir. Ne rien ressentir, c’est chouette ; voilà ce qu’il avait conclu après avoir patienté deux heures dans une voiture renversée, la tête en bas, avec ce maudit levier de vitesse enfoncé dans la cuisse et sa meilleure amie morte depuis une heure assise à côté.

Et attendre debout dans le bus-fournaise à l’atmosphère saturée de chaleur humaine et sans intérêt : voilà un autre moment où il pouvait voir sans le vivre le personnage Edmund, ce gars lointain, qui souffrait et se retrouvait dans ce genre de cas pénible que tout le monde a déjà rencontré. Magnifique allégorie de l’ennui trivial, pensait-il, et sitôt il comprenait que seule la souffrance est amusante à voir ; c’était pour ça d’ailleurs que les poètes n’écrivaient jamais de sonnets intitulés « vive la vie », et que les tragédies grecques ne se terminaient jamais par d’amicales garden-parties.

Un bout d’épi de blé décapité par le vent vint se figer dans son oreille ; amusé, Edmund lui trouva une ressemblance avec son ami Georges. Il écrasa l’épi aussitôt : Georges avait autrefois couché avec sa meilleure amie. L’huile de moteur continuait de couler, et Edmund se dit qu’il faudrait bien régler ce problème un jour ou l’autre.

Il opta pour l’instant présent, et d’un geste désinvolte il envoya une allumette en flammes dans la continuité verticale de la coulée devenue fluide. Il y eut d’abord une colonne de feu qui dansait du sol jusqu’au véhicule en contrehaut, puis la longue flamme changea de couleur pour prendre une teinte inconnue par l’homme jusqu’alors, et qu’Edmund baptisa « slongue », en référence au bruit qu’avait fait le crâne de Georges quand il le lui avait fracassé avec un extincteur.

Le véhicule explosa enfin, et libéra une forte lumière qui subsista bien après l’éclat. Cette lumière était verte, puis invisible, puis redevenait verte, ce qui rendit finalement un effet stroboscopique dans la grange peu éclairée. Edmund, jubile, applaudit : il raffolait de ces effets pyrotechniques que

la Planète

s’octroyait de temps en temps, et qui privilégiaient l’aspect esthétique du visuel à son habituelle loi rationnelle et scientifique. Malgré cela, le jeune fermier dut sortir : la grange était en train de prendre feu.

La nuit était tombée depuis environ deux jours, et ses yeux s’étaient accoutumés à l’obscurité. Tout en avançant paisiblement dans l’immense lac herbu qui figurait son pré, Edmund regarda le ciel, les yeux dans les étoiles, et adressa au cosmos un regard complice : il songeait à la semaine dernière.

La semaine dernière, il avait effectué le Test : debout, au même endroit, il avait extirpé de sa ceinture un revolver, puis s’était enfoncé le canon dans la graisse du ventre ; il avait tiré, le sang jaillissant s’était noyé dans le tissu de son vêtement, et il était tombé sur l’herbe. Face au ciel, il avait soustrait à la douleur l’enthousiasme du test : il obtenait un résultat négatif –il l’évaluait à -18-, l’effet était donc clair : pas de douleur.

A son grand bonheur, on l’avait retrouvé quelques minutes plus tard, pour l’amener aussi vite que possible –trouvé à cette heure par des gens qui n’étaient pas d’ici, c’était une vraie chance !- à la clinique. Les médecins et à peu près tout le monde avaient cru à un suicide ; Edmund avait bien ri de cette méprise : un suicide ? impossible : par principe il méprisait l’onanisme.

Sans vanité, Edmund aimait se faire désirer ; sans vanité toujours, il voulait se faire désirer par l’univers. Ne souhaitant pas imposer l’espace compris entre ses cheveux de paille et la plante de ses pieds dans le champ de vision de ses pairs, il avait donc fait le Test : si quelqu’un l’avait sauvé, c’était que l’Univers voulait de lui.

Bien sûr, « suicide », c’était plus court à prononcer, les médecins s’en étaient donc accommodés dans un souci d’économie de leur temps précieux, mais c’était un concept impropre.

Il était donc maintenant au milieu de ce pré, le ventre encore marqué par la suture, à attendre de l’Univers le signe décisif qui l’autorisait à rentrer en contact avec le monde et lui délivrait le diplôme d’être spécial. D’abord peu difficile, il chercha dans le ciel un message signifiant, et convint après quelques minutes qu’avec un peu d’imagination, en joignant

la Grande

Ourse

à une autre constellation et à un avion qui fendait l’écran étoilé, on pouvait lire une sorte de J hybride de R et d’une tête de lapin. Puis, il se fit patient, car, digne héritier malgré tout de l’éducation générale de son monde, il gardait à l’esprit l’idée infaillible qui veut que toute patience et toute pénibilité implique une récompense proportionnelle à elle-même : certains appellent ça le purgatoire, d’autres l’investissement.

Edmund fit signe à l’Univers de prendre son temps.

Finalement, conciliant, il lui laissa encore une journée pour se décider et repartit vers la grange, qui désormais était un lieu sûr, puisque le feu s’était éteint de lassitude.

 

  II

 

Le jour fit défiler son long cortège d’événements sans lien ; Edmund le traversa avec impassibilité. Il y avait dans ces heures absurdes une sorte de réconfort, il se pressait à leur texture molle et onctueuse en imaginant combien celles qui suivraient l’emmitoufleraient de leur sens. Ce bon vieux sens, cette légende d’écolier, il la voyait bien venir, quelque part, dans le seul lieu proche –ou visible- qu’il ne pouvait pas atteindre : le ciel. Bientôt, l’Univers décocherait une flèche dans son champ : il la suivrait, et trouverait enfin le sens.

 Le soir arriva, la lune décrivit à trois reprises un arc de cercle dans la voûte céleste mouchetée d’étoiles incongrues, puis s’écarta de gauche à droite d’un mouvement saccadé qui provoquait une lumière vive et désagréable. Enfin, l’astre joueur tomba de fatigue avec bruit, et ne reparut plus de la nuit.

«  Pas de lune pour ce soir, pensa Edmund. »

Il patienta fébrilement dans le pré, cette fois-ci beaucoup moins compréhensif vis-à-vis de l’Univers : un jour, c’était largement suffisant pour préparer la forme, la cérémonie ; et puis, venant d’une entité d’une telle envergure, l’entreprise lui paraissait dérisoire. Afin de passer sa colère, il concentra son attention sur d’autres éléments de ce qui l’entourait : les arbres chauves aux écorces en caoutchouc, les hibous artistes qui collectaient les chapeaux des noctambules, et surtout, la rumeur irrégulière des ours explosifs. Mais l’Univers, une fois de plus, le snoba avec ce qu’Edmund vit comme une joie. Jurant, feignant l’indifférence, il repartit vers sa grange en fauchant du pied les champignons farceurs qui surgissaient intempestivement du sol.

Brusquement, un son rectiligne et sifflant vint se jucher dans l’herbe, juste derrière lui. Edmund fit volte-face, curieux, jouant la surprise. Il y avait sur le sol une fine flèche d’un bleu instable et clignotant, à laquelle était accroché un rouleau de papier à carreaux. Le jeune homme le déplia, et lut ce à quoi il s’attendait, à savoir un message :

 

«  Edmund.

Désolé de ne pas avoir répondu plus tôt, mais j’étais pas mal occupé par deux trois problèmes. Rien de bien méchant, ne t’inquiète pas, pas de quoi en faire un monde. En tout cas tu peux suivre la flèche dès maintenant, elle te mènera sûrement tu sais où. Allez, c’est pas tout ça, mais le temps passe, et on rigole, on rigole, mais bon…

Bon voyage !

 

    L’univers »

 

Edmund releva la tête une fois de plus, un sourire accroché au visage. Afin de mieux saisir la situation, il s’absenta, et se regarda heureux au milieu de son pré : il observa les petits traits excités du coin de sa bouche, sa jambe languissante qui tremblait, et pour une fois, il s’identifia à lui-même. Puis, il regarda ce personnage sympathique poser ses pieds sur la flèche pour mieux envisager la direction à prendre ; il assista ému à son départ pour le tout droit, et se dit que tout ça présageait une suite passionnante.

 

Au loin, on entendait la rumeur irrégulière des ours explosifs.

 


 J'espère que cet extrait vous aidera à patienter avant demain, puisque c'est le 16 septembre 2007 que la disparition de Yaruch Bann égalera en durée sa petite disparition, et que de nombreux admirateurs attendront son retour. Je vous ai déjà dit que j'étais loin d'avoir une opinion tranchée sur la question, mais malgré tout, je passerai une large partie de la journée de demain à écumer le net et la presse, à la recherche de chaque indice de sa réapparition.

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