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Le Pont des amants de l'amant
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17 avril 2008

Le Rendez-vous des Coyotes

En lecteur de Magnum Phrodite qui se respecte, je trahis la promesse faite dans le précédent article, et vous livre les trois premières scènes du Rendez-vous des Coyotes (1982), probablement la plus fameuse  pièce de Théâtre à  Ne Pas Jouer  écrite par Bann. Attention: il est presque impératif de lire l'article de ce dernier lien pour comprendre cet extrait! 



Scène 1

 

Un petit appartement puissamment éclairé, près de Paris. Deux hommes, chacun sur un fauteuil, sont en conversation. Le premier, Phil, chanteur de punk et président du conseil italien, tient dans sa main droite un verre de cognac -qui de temps à autre se transforme en limonade- ; le second, Noé, tailleur de saxophones au chômage technique, le regarde parler avec attention. Tout au long de la scène, ses cheveux n’arrêtent pas de pousser, mais de manière invisible à l’œil nu.

 

Noé

Alors, c’est décidé, n’est-ce pas ?

 

Phil

Maussade

Bien sûr, que c’est décidé. On ne peut pas se permettre d’y aller.

 

Noé

Ses cheveux poussent anormalement plus vite que précédemment, mais personne ne s’en rend compte.

Se permettre ? Tu dis ça comme si c’était moralement justifiable.

 

 

Phil

Oui, on ne peut pas se permettre d’y aller, par respect pour le principe de lâcheté. Le respect fait tout, Noé. Un homme est fait de convictions. Et de plusieurs choses visqueuses plutôt repoussantes.

 

Noé

Inutile de préciser si tu parles métaphoriquement ou anatomiquement, bien sûr ?

 

Phil

Bien sûr. La métaphore, c’est sûrement quelque chose de perdu. Aujourd’hui, on l’utilise pour tout et n’importe quoi. Avant-hier, au supermarché, j’ai vu un type qui essayait de faire ses courses avec une métaphore. Pauvre type…

 

Noé

Il était jeune ?

 

Phil

Je ne sais pas, il dissimulait son visage derrière une barbe blanche.

 

Noé

Il n’y a plus rien, de nos jours…

 

 

Phil

Tu sais, je me méfie de ces considérations. Mon grand-père a passé sa vie à attendre un nouveau Victor Hugo.

 

Noé

Le XXe siècle n’en a pas manqué, pourtant.

 

Phil

Oui, mais il m’a expliqué peu après sa mort qu’il attendait juste un homonyme… Le pauvre, il fondait de si grands espoirs sur ce Victor Mugo…

 

Le cognac de Phil se transforme en limonade

 

Noé

Interloqué

Tu as bien dit « après sa mort » ?

 

Phil

Oui, par le biais d’une lettre posthume qu’il m’a remise lui-même après l’enterrement.

 

Comme pour changer de sujet, Phil avale une gorgée de cognac et rend brièvement sa peau translucide pour montrer à Noé le trajet du liquide dans son tube digestif.

 

Noé

Tu ne veux vraiment pas y aller, n’est-ce pas ?

 

Phil ne répond pas.

 

Noé

C’est quand même toi qui en es responsable.

 

Phil

Maudits coyotes…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Scène 2

 

Une colline sableuse en arrière plan, des silhouettes de bâtons plantés au sommet. Un personnage, Joseph Gnuignuistnkfghj, attend, une rose à la main, assis sur un muret qui fait la largeur de la scène. Très vite, on peut remarquer que ce personnage est en fait un acteur, qui prête son apparence à un être imaginaire le temps d'un spectacle où d'autres acteurs font de même.

Ce phénomène, nous le nommerons arbitrairement "pièce de théâtre".

Entre Emilie, coiffée d'un chapeau invisible à double tranchant.

 

Joseph Gnuignuistnkfghj

Animé par la venue d'Emilie

Emilie! C'est toi! Je pensais ne jamais te revoir après ce problème de cataracte.

 

Emilie

Je n'ai pas beaucoup de temps, mon amour. Mon père...tu sais ce qu'il pense...

 

Joseph Gnuignuistnkfghj

Absorbé par le mouvement des lèvres d'Emilie, et mettant de côté toute information négative

Je t'ai apporté un cliché, ma chérie!

 

Il lui tend la rose.

 

Emilie

Tu ne devrais pas...

Elle hume la fleur

Bon sang, ce que c'est bon...

Un temps virgule neuf cent douze.

Ce genre de petit plaisir ne nous est plus permis, maintenant... Qu'est-ce que les gens peuvent avoir contre le plaisir?

 

Joseph Gnuignuistnkfghj

Ce sont les vieilles générations, ma puce. Si elles savaient ce que leurs prohibitions m'ont coûté, elles ne m'interdiraient pas de me procurer une simple rose pour ma petite amie.

 

Emilie

Le doigt levé, comme touchée par la grâce

On devrait légaliser le meurtre.

 

Joseph Gnuignuistnkfghj

En attrapant les mains d'Emilie

Ça ferait moins de gens en prison.

 

Emilie

Elle pouffe

Je me choque moi-même...

Elle divane

Ce sont les nouvelles idées, elles choquent par leur brusque nouveauté.

Elle traversine

Je suis juste en avance sur mon temps et sur moi-même.

Reprenant sa gravité, elle canape

Tu ne devrais plus m'apporter de clichés...C'est trop dangereux.

 

Joseph Gnuignuistnkfghj

Mais il faut que je t'en apporte! J'en ai besoin! Je dois t'en apporter encore, et encore!

 

Emilie

Après un temps virgule neuf cent douze de réflexion, elle prend un air décidé

Dans ce cas, amène m'en plus. Tu veux prendre des risques? Soit! J'en prends aussi, et j'en veux encore!

 

Joseph Gnuignuistnkfghj

Mais...

 

Emilie

Tyrannique

C'est un ordre! L'ordre de la lune à son escargot transi d'amour.

 

Joseph Gnuignuistnkfghj

Et transi de froid... Il faut rentrer, maintenant, la tempête va commencer. Je te promets de chercher quelque chose pour empêcher le rendez-vous des coyotes.

 

Emilie

Même jeu

Et apporte m'en plus.

Je veux plus de clichés, toujours plus de clichés! J'ai vingt-deux ans, je ne veux pas perdre ma jeunesse à passer à côté du plaisir brut...

 

Joseph Gnuignuistnkfghj

Je t'aime!

 

Emilie

Oui.

 

 

 

 

Scène 3

 

Retour à l'appartement de Phil.

La scène devra être jouée au moment même où elle est écrite –c’est-à-dire avant la représentation-, afin de rendre un effet d'improvisation -même si ce n'est bien sûr pas le cas. Phil s'est assoupi. A première vue, on peut en juger qu'il dort depuis environ dix-sept minutes.

Il se réveille brusquement.

 

Noé

Tout va bien?

 

Phil

J'ai rêvé que j'avais des yeux magiques...

 

Noé

Des yeux magiques?

 

Phil

Oui, ce sont comme des yeux ordinaires, sauf qu'ils sont magiques. Cela prendrait trop de temps de te l'expliquer.

 

A partir de maintenant, la scène est jouée au moment exact ou la scène 2 est écrite.

 

Phil

Je repense encore aux coyotes, Noé.

C'est peut-être ça qu'on appelle la culpabilité...

 

Noé

Tu devrais la partager, cette culpabilité.

Je suis là, si tu veux...

 

Phil

A quoi servirait de partager ma culpabilité, sinon à l'aggraver?

 

Noé

C'est un projet à très grande échelle.

En partageant ta culpabilité, je contribue à un futur phénomène qui consisterait en ce que tout le monde la partage, et alors, puisqu'il n'y aurait plus personne qui soit en dehors de cette culpabilité, la culpabilité n'existerait plus.

 

On comprend alors que Phil dormait en fait depuis vingt-quatre minutes.

 

 

Phil

Il mord l'intérieur de sa lèvre inférieure et tourne la tête de gauche à droite

Il y aura toujours une victime, Noé.

 

Un temps virgule neuf cent douze.

 

Noé

Dépité

Je sais. L'important, c'était que tu ne t'en rendes pas compte...

 

Phil

Merci.

 

Trois temps virgule huit cent vingt quatre.

 

Noé

Pendant que tu dormais, j'ai pris la liberté de faire venir quelqu'un. J'espère que tu ne m'en voudras pas. Il devrait arriver d'un instant à l'autre, et je pense qu'il pourra t'aider.

 

Un membre du public se lève et monte sur scène. Le personnage ressemble furieusement au spectateur, à tel point qu'on peut affirmer qu'ils ne forment qu'une seule et même personne. La complicité avec ce spectateur n'était pas préparée, il devra donc improviser exactement de cette façon:

 

L'inconnu

Se présentant

Je suis Georges Lemetteurenscèneestunfilsdepute!

 

Phil

Lemetteurenscèneestunfilsdepute?

 

Georges Lemetteurenscèneestunfilsdepute

A n'en pas douter!

 

Noé

C'est un nom très singulier, c'est vrai.

 

A ce moment, si le spectateur n'a pas eu la présence d'esprit d'improviser comme décrit ci-dessus, la représentation devra s'arrêter, et le metteur en scène fera sauter le théâtre à la dynamite.

 

Georges Lemetteurenscèneestunfilsdepute

Ecoutez moi bien, monsieur Bill...

 

 

 

Phil

Rectifiant gentiment

Phil!

 

Georges Lemetteurenscèneestunfilsdepute

Phil, soit...je suis ici pour vous faire comprendre que votre culpabilité est absurde et je vous le démontrerai par un long développement construit appuyé sur divers exemples historiques. Vous verrez, mon cher Bif, que toute cette histoire, au final, ça n'est que du babillage.

 

Phil

Rectifiant, intimidé

Phil.

 

Georges Lemetteurenscèneestunfilsdepute

Bill, comme vous voudrez.

Premièrement, et c'est là le principe fondamental, il est important de comprendre que vous devez transférer votre culpabilité sur quelqu'un d'autre.

 

Phil

Je vous demande pardon?

 

 

Noé

Tu vas voir, il est extraordinaire.

 

Georges Lemetteurenscèneestunfilsdepute

Quelque chose vous gêne, Pif?

 

Phil

Légèrement excédé

Phil! Ce qui me gêne, c'est qu'à vous entendre, je suis vraiment coupable!

 

Georges Lemetteurenscèneestunfilsdepute

Evidemment que vous êtes coupable, espèce de connard!

La question n'est pas là, Pitt: bien sûr, vous êtes immonde, vomitif, vous me foutez souverainement la gerbe, mais ce n'est pas pour ça que je suis là!

 

Phil

Rectifiant, un brin énervé

Bill!

 

Georges Lemetteurenscèneestunfilsdepute

Si vous commencez à vouloir chercher la vérité, sale enfoiré, c'est évident, vous allez vous ronger dans le remords! Soyons logiques, Kitt!

 

Phil

Réellement énervé

Je ne suis pas coupable, enfin!

 

Georges Lemetteurenscèneestunfilsdepute

Sarcastique

Oui, c'est ça, vous n'êtes pas coupable, bien sûr que non! Un type qui sacrifie le souhait de sa progéniture au caprice des coyotes, c'est profondément moral, oui, excusez-moi!

 

Phil

Hors de lui, il attrape Georges par le col et le fait basculer en arrière: Georges se retrouve en équilibre sur le fauteuil où se trouvait Noé

Je ne suis pas coupable, est-ce que c'est clair?

Est-ce que c'est clair?

Il hurle

Est-ce que c'est clair, espèce de fils de pute?!

 

Georges Lemetteurenscèneestunfilsdepute

Serein

On y est.

Maintenant, expliquez-moi pourquoi vous n'êtes pas coupable, Kim.

 

 

Phil

Perplexe

Phil...Je suis pas coupable, parce que j'ai tout fait pour ne pas l'être. C'est suffisant, j'en suis sûr.

Je n'ai rien à me reprocher, depuis toujours, j'ai toujours agi comme il le fallait.

 

Georges Lemetteurenscèneestunfilsdepute

Prouvez-le.

 

Phil

Il pouffe

C'est ridicule. Comment voulez-vous que je vous prouve quoi que ce soit?

C'est comme si je vous demandais de me prouver l'existence de Dieu.

 

Georges Lemetteurenscèneestunfilsdepute

Rien de plus simple, j'ai un certificat.

 

Il lui tend un certificat que Phil lit attentivement.

 

Phil

Admettons...

C'est quand même beaucoup plus complexe pour moi. Mais je veux bien essayer, si vous insistez.

Tenez, un exemple: quand j'étais bébé, j'ai craché ma soupe sur le tablier de ma mère. Elle a cru que je haïssais cette soupe, alors que je l'adorais, bon sang, vous pouvez pas imaginer. Le truc, c'est qu'avant elle m'en avait fait goûter des tas d'autres que je détestais, à tel point que quand elle m'a donné la soupe que j'aimais, je pleurais tellement que j'ai tout rendu. Elle a abandonné après ça.

 

Georges Lemetteurenscèneestunfilsdepute

Vous voyez que vous n'êtes pas coupable.

 

Phil

Dubitatif

Ça n'est qu'un exemple, ça ne prouve rien.

 

Georges Lemetteurenscèneestunfilsdepute

Pour moi ça suffit, Kir.

 

Noé

Enthousiaste

On progresse, c'est merveilleux.



Je recopierai progressivement le reste de la pièce.

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