Encore des Ivresses...
Cette fois-ci, il s'agit d'un poème en prose, intitulé "Progression", lui aussi rédigé après absorption d'alcool:
Elle
n’a pas de nom et pourtant dans son atelier je la vois tailler l’effigie du
démon -elle ne se lasse pas, moi non plus-, comme une ombre éternelle qui
ne me quittera jamais vraiment car jamais elle ne fut vraiment avec moi. Il y a
des parfums, des fragrances et des mœurs qui toujours restent dans la peau, et
l’on hume l’atmosphère pour se sentir un peu moins vivant que l’autre, avec un
grand aaaaah, qui lui a réussi, qui s’est multiplié et ne souffrira pas d’une
mort mais d’une infinité de morts, alors, profitant de la distraction d’une
ankou trop occupée, il gravira les marches de la gloire pour s’asseoir sur le
trône de l’immortalité, où, vous pouvez en être sûrs, il fusillera tous ceux
qui autrefois l’ont devancé.
Je ne
me rappelle pas avoir un jour souhaité me noyer dans ces poisons exquis qui
aujourd’hui coulent dans mes veines comme le sang lourd que j’ai parfois
souhaité répandu dans la foule. Il aura suffi que l’abime m’envoie son
invitation pour que j’y succombe, pour que je goûte à l’aura du démon, qui
aujourd’hui ne m’est pas plus ridicule que le bon dieu, qu’on dit
« bon », comme on dirait « bonne femme », par habitude, par
paresse du nouveau –la paresse du nouveau m’habite comme elle me dégoûte, si
seulement…non, la violence et le sang n’ont jamais pu soulever l’homme-, mais
quand on le regarde droit dans les yeux, la contrefoi se manifeste, et d’agneau
on passe à agneau mort. Je suis un agneau mort, dérélictant par choix, parfois
par défaut, mais jamais par choix d’une solution. Une solitude n’arrive jamais
seule. Quand tout le monde sera parti, je pourrai enfin commencer ce livre
désiré depuis l’enfance. Une bouteille à la main, je le dégusterai comme le
seul bonheur possible, et de par cette unicité, il sera le sommet. Ils me font
rire, ces hommes en robe et en chapelet qui m’ont promis le sommet, car le
sommet n’existe que si on détruit le reste : j’enverrai par le fond les
montagnes concurrentes, et je serai au sommet, seul. Qui du sommet ou de la
compagnie consiste en la fin ?
Putain,
si j’en avais connaissance, serais-je ici, titubant, à faire dégouliner
l’absurde propos de mon ivresse dans ces phrases pompeuses ? Regardez-moi
tous ! Je sais dépasser le sujet, le verbe, et le complément, voilà ce à
quoi m’aura servi de me répéter depuis vingt ans « je ne suis pas pareil
aux autres ! ». Il me parait toujours plus simple de balancer la vomitive
vérité dans la gueule des gens plutôt que de les faire espérer et de les voir
arriver, à vingt ans révolus, devant le trône promis, et de le voir vide. On
entend toujours un éclat de rire, à ce moment-là, c’est une blague universelle.
Bien
sûr, Elle, elle est toujours là, c’est ça, le nouveau, une sorte de bonheur
suprême dont la valeur varie, on la compte dans l’unité qu’on souhaite, et je
crois que parfois, elle parvient à faire oublier le vide. Mais elle est
multiple. Qui est-elle ?
Elle
est l’inexact plaisir des sens, la fougueuse fugitivité de la vie sage, et
quand je pose mon regard sur ses seins, j’oublie que dans l’instant d’après il
faudra à nouveau s’enfoncer des rosiers sous la peau, j’aime ma petite amie
comme j’aime l’alcool, et comme les vins imaginaires promis par les anciens
pays fabuleux, car croire, c’est aussi vivre et mourir, et le premier est plus
calme, plus long, quand la fulgurance du deuxième n’a d’égale que sa brièveté.
Maintenant
je pense à tous ceux qui de leur regard m’offriront ou non l’immortalité, et
j’espère que malgré leur ignorance, ils sauront faire le choix. Le bon choix.
Il
n’est pas facile de savoir, surtout quand un pseudo-poète maudit vous affuble de
quolibets incompréhensibles pour masquer son irréalité. Je suis irréel, eh
bien, vous aussi, mais je le montre différemment, quand vous ne pensez qu’à
l’autoroute. Je ne sais pas pourquoi l’autoroute me vient, j’imagine plutôt le
chemin de fer à l’entrée de Malakoff, près des pistes cyclables, mais je ne
peux pas lutter contre les évocations multiples de ma vie. Si seulement je
pouvais faire comprendre à celui qui me lit le désespoir que me causa un jour
la vue du dégradé qu’offraient cet immeuble et le gris du ciel, je pourrais…je
ne sais pas où cela me mènerait, mais j’y suis attiré comme j’en ai l’angoisse.
L’angoisse de manquer là où je pourrais réussir, là où je pourrais réussir moi
seul –je ne suis pas pareil aux autres-, et là où pourraient réussir tous les
autres, quand moi, je serais trop faible. Ce n’est pas un délit, pourtant, on
s’accorde tous à le penser, et pourtant, la boue coule dans la veine délicate
de celui qui dit, aux heures tranquilles « que cet homme mérite la
mort », et il n’a pas tort, car tout le monde pense la même chose –c’est
ça, la vérité ? c’est ce qu’on m’a dit, je veux bien le croire, car toutes
les pensées se ressemblent et n’ont au final aucune valeur. Aucune n’aura
jamais la valeur de ces moments de quiétude où je pose ma tête sur ses seins,
où elle pose la sienne sur ma poitrine, ni ces moments de guerre où je me crois
cent fois perdu à ses yeux, et où, insensiblement, doucement, un esprit
invisible se pose sur mon épaule et me dit « ne crains rien, c’est acquis,
elle t’accompagnera jusqu’à ton tombeau pour t’empêcher d’y courir trop précocement »,
et je l’écoute car il a sa voix. J’avale une nouvelle gorgée pour me dire que
c’est faux, désormais, mais l’amusement a-t-il vraiment disparu ? Plonger
à plat ventre sur des parquets ultramarins et glisser jusqu’à la
rafraîchissante piscine de cette réunion. Qu’ils sont parfois doux et
confortables , ces clichés de paroles, on l’a déjà dit cent fois, mais ce sont
peut-être ces utilisations répétées qui en ont gâté la dureté et les ont rendus
si moelleux. Encore une gorgée, la fougue se perd, et il faut la faire durer
jusqu’à ce que le sujet soit épuisé –putain, que ces illusions sont stupides-,
et le faire éclater au monde comme la seule vérité. C’en est trop, je m’absente
Et je
reviens avec une ou deux gorgées de plus, c’est complaisant de compter, tout
comme sont complaisantes ces pensées dites mille fois –je l’ai déjà dit, mais
j’ai augmenté le nombre pour donner l’impression d’une évolution, me voilà
maintenant -c’est terrible- à prononcer par écrit les banalités qui me
surviennent, le temps qu’il fait –il y a un paquet de biscuits sur le bureau.
Petit
–j’avais quatre ans, je savais lire et j’en étais fier-, j’ai voulu pour faire
rire couper mon doigt aux ciseaux, je l’ai fait, et ça faisait mal, mais le
sang, cette nouvelle couleur, je n’en nie pas la beauté –à l’époque, je ne sais
pas. Il faut que j’arrête la manie des tirets pour les planter dans le cœur de
l’homme.
Quand
l’absurdité de mon propos me vient au visage, je le dissipe avec une gorgée.
Et
c’est reparti…il est onze heures, maintenant, espérons que j’aurai le temps de
dessouler avant d’aller rejoindre mes amis –Malesherbes, c’est loin, tout de
même. Tant pis s’ils me voient ainsi, je ne cherche pas à me rendre minable où
à inspirer la pitié, je veux juste pouvoir écrire sans interruption, c’est de
« l’amour de l’art », comme on dit quand on ne sait pas quoi dire,
c’est cet amour qui me pousse à absorber cet alcool, pas l’amour de la
déréliction –je la dépasse, cette pute, n’ayez plus peur. Ça n’a pas marché, de
toute façon, il faut enrubanner la chute par l’art, sinon elle est ennuyeuse,
elle vous prend votre temps, et ça n’est déjà pas facile, alors n’ayez plus
peur de me voir essayer de me noyer dans la salle de bains comme le week-end
dernier, car cette méthode est caduque ! Je la dirais même ridicule si je
n’y avais pas autant cru –voit-on dans mes mots l’optimisme qui désormais s’en
dégage ? C’est important.
C’est
l’optimisme des miettes –mes chères miettes, vous avez plus de valeur que le
trésor de Sardanapale-, cette douceur-malgré-tout qui par contraste –je hais
cette expression- offre plus de splendeur que les plus intenses joies pures
–pures, et donc binaires. Autrefois j’aimais m’écouter la chanson unique du
groupe qui jeta la bombe sur Hiroshima pour me dire que j’en étais l’auteur, ou
du moins l’acteur, et je glissais dans les rues nocturnes et pluvieuses pour me
dire que moi aussi, un jour, je rejoindrai le panthéon des gens morts
pour…aucun mot ne vient, je dirai « rien », mais ça n’est pas ça.
Je
saute un paragraphe pour dire cet adieu au monde marécageux qui me conduira
enfin –je l’espère, mais j’ai confiance en toi- dans un monde où la souffrance
a droit de cité, mais où les votes sont truqués. Je te salue, toi, qui
m’accueille dans ma propre maison, que j’ai quittée il y a bien longtemps, par
une soirée de février."