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Le Pont des amants de l'amant
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9 juin 2008

Paul, Marc et le savon qui parle

Voici comme promis le début (soit 282 vers) de l'épopée de jeunesse de Yaruch Bann, composée, je le rappelle, durant une dissertation à l'âge de 19 ans:

"Aux temps si florissants où le monde était grand

Comme aujourd’hui encore, et même comme avant

Paul aux yeux de café, qui connaissait le grec

Rencontra Marc le roux, un grand chevalier sec

Qui traversait le monde et sa banlieue très proche

A la recherche d’un artefact pas trop moche

« C’est un savon qui parle et qui sait quelques blagues

Qui valent, j’en témoigne, le paradis des vagues

Où j’aime à m’oublier, quand mon âme est trop triste

Mais je digresse encore, excusez mes caprices »

Paul aux yeux de café sitôt lui dit « Monsieur

Vos rimes sont flottantes, et vos vers capricieux

On ne fait pas rimer les mots « triste » et « caprices »

Sauf quand on veut écrire une comptine aux fils

Et aux filles en bas âge, peu savants en métrique

Mais faisons fi des considérations techniques. »

Marc le roux l’approuva, le savon attendait

Il synthétisa donc sa demande en deux traits :

« Le savon est à nous, si vous m’accompagnez »

Le pacte fut scellé, on but du St Panier

Et l’on mangea encore des pâtés de chevreuil

Et du bœuf, et du porc, et puis du chèvrefeuille

Et quarante poulardes, et huit femmes au foyer

En ce temps-là madame, on savait festoyer

Repus et satisfaits, les deux amis s’en furent

Croquer dans le voyage comme en pomme mûre

Ils passèrent bientôt la colonie des Pions

Qui de leur échiquier avaient fui en avion

Pour aller s’établir au confluent du Rhin

Et d’une autre rivière dont le nom ne dit rien.

Je ne raconterai pas sauf pour les curieux

L’hostilité sans bornes qui se prit à eux

-Mais « se prendre à quelqu’un » n’a pas vraiment de sens-

Il y eut, toujours est-il, un crachat de violence

Qui émergea soudain des pensées les plus calmes

Les Pions sont plus bourgeois que les canards à palmes

Quand passés quarante ans, ils restent dans la mare

Et du monde bruyant ne veulent plus rien voir

Marc le roux fut brûlé, mais il en réchappa

Avec une fièvre qui bien vite passa

Paul aux yeux de café fut pendu par les pieds

Et c’est tout ballonné qu’il eut à s’exiler

Les deux amis quittèrent le pays des Pions

Se promettant de jamais revoir la région

Et les voilà partis pour le pays voulu

Et connu par Paul aux yeux de café moulu

Leurs pas faisaient des traces qu’on retrouverait

Pour des siècles encore, et dont on parlerait

Dans les livres d’histoire et dans les randonnées

Lors des conversations et dans les randonnées

Surtout en randonnée, vous l’aurez deviné

Et les réunions où chacun est aviné

« Mais, Marc, dit un jour Paul aux yeux de café

Je sais que la manie est à paragrapher

Mais cette quête, enfin, a-t-elle au moins un but ?

J’avoue qu’il me démange d’aller voir les huttes »

(Paul aux yeux de café haïssait les consonnes

Et oubliait parfois d’en prononcer certonnes)

Marc le roux riait fort car il pleurait tout bas

-Il est des habitudes qu’on ne moque pas-

Marc le roux, je l’ai dit, se fendait bien la poire

Et reprochait à Paul son défaut de mémoire

« Et le savon qui parle, l’aurais-tu oublié ? »

(Car depuis quelques temps, les deux se tutoyaient)

Paul démentit le défaut de son souvenir

« Je sais bien où mène notre bel avenir

Mais ce savon parlant, l’as-tu bien rencontré ?

Ne t’a-t-on menti quand on te l’a raconté ?

J’ai peur que la légende ne soit erronée

Que l’on ne parle de nous deux qu’en randonnée

Et que ce soit encore pour bien rigoler

Aux dépends de nos tronches, à proprement parler.

-Ce savon qui bavarde, répliqua le roux

C’est celui qui jadis mit à ma mère un coup

Bien placé, justement, pour lui faire un enfant

Et je naquis ainsi, en même pas un an ! »

Paul aux yeux de café chut devant le prodige

De sa naïveté, Marc tira du prestige

Mais il avait menti, son père était savon

Comme la Seine est sèche, et la barque un avion

Il fallait faire simple pour convaincre Paul

Qui sans cette astuce aurait baissé les épaules

Et serait reparti –c’eut été bien dommage

Vivre entre ses parents le reste de son âge

« Je ne viens pas ce soir vaincre ton corps, ô bête »

Cria Paul car le plagiat était à la fête

Conscient que l’épopée excèdera quatre heures

Le jour est bien moins pur que le fond de mon cœur

Ainsi vais-je pillant pour aller bien plus vite

Et rimé-je en riant l’épopée décrépite

Revenons maintenant à l’intrigue initiale :

Paul et Marc voyageant dans les plaines glaciales

Du pays où naquit le forgeron bougon

Qui coupa son épouse pour en faire un bouchon

Et ne jamais toucher à son alcool fétiche

Les gens des pays froids ont la raison fortiche

Ils cheminaient encore quand à l’horizon

Apparut la lumière d’une bleue maison

Il fallait faire escale et ripailler enfin

Car lorsque l’on voyage, on est pris par la faim

Les habitants malins offrirent le couvert

Mais la bouffe elle-même, la firent payer cher

Les gens des pays froids ont la raison glaciale

Et le cœur asséché par le vent hivernal

Mais Marc le roux avait dans sa bourse un trésor

Assez profond pour manger jusqu’à être mort

Devant le chiffre vertigineux les parents

Firent « hourra » et sacrifièrent les enfants

La viande du festin était toute trouvée

Et l’infanticide était loin d’être prouvé

Il y eut de la laitue et des légumes verts

Et trois kilos de coke planqués dans les couverts

De l’opium distillé dans un bon vin de France

Et les gentils bambins en plat de résistance

On mangea bien, on rit, on joua de la guimbarde

Et puis on tua le chat avec une bombarde

Et ainsi Marc le roux, retrouva le sourire

Qu’il avait fait tomber dedans le poêle à frire

Cependant que, distrait, il pillait la cuisine

Et paillard éternel, se tapait la cousine

Vint le temps du coucher et de la nuit paisible

On ne pensa alors qu’à ce qui est possible

Et l’esprit endormi comme à l’Académie

Chacun s’inocula la triste épidémie

Au réveil, le matin, le soleil était là

Et transperçait la chambre jusqu’aux matelas

On se dit « au revoir », on rit et on partit

Retrouver le savon doué de répartie

La neige était pareille à une blanche fée

Réduite en poudre après s’être déshydratée

La technique était neuve : on la testait sur tout

Et on lyophilisait les femmes et les matous

C’est après dix-sept heures de chemin ardu

Que Marc et Paul aperçurent un inconnu

Il était grand, bossu, et fumait le lutin

Qu’il avait brûlé vivant très tôt le matin

Espérant composer un bon tabac magique

Mais ne synthétisa qu’un fort anxiolytique

Placide et euphorique, il les salua en turc

Sans parler cette langue, et prononça un truc

Que je retranscrirai par « liligoduniutre »

Mot rare qui ne rime qu’avec « tadiniutre »

Voulant communiquer, Paul aux yeux de café

Fit de grands gestes vifs, et se prit à gaffer

En levant son majeur d’une phalange en trop

Et voilà le bossu qui les poursuit au trot

Drogué, peu réactif, mesurant les distances

Comme un aveugle idiot voulant relier la France

Et les Etats-Unis en sautant à pieds joints

Il trébuche, se tue, Marc le roux le rejoint

Et de sa bourse pleine l’allège aussitôt

Avec la somme neuve il fera un gâteau

A Paul aux yeux café, choqué par la manœuvre

« Mon clafoutis, c’est sûr, ce sera un chef d’œuvre »

Murmure-t-il, secret, en se frottant les mains

Il pense à la farine qu’il paiera demain

Il est maintenant tard, il faut se reposer

C’est ce que sans tarder, Paul voudrait proposer

Mais la plaine déserte à Marc donne une idée

Il veut dès maintenant fonder une cité !

Alors il fait venir les clochards du pays

Voisin et les invite à sensifier sa vie

Il en nomme un consul, l’autre gardien du culte

Et puis se lasse enfin, et les tue en tumulte

Car la cité prend forme, et déjà l’expansion

Est à l’ordre du jour, Paul lui dit « Attention !

Tu te feras dépasser par les dimensions ! »

La ville est gigantesque, une administration

Place Marc au plus haut, mais tout ça lui fait peur

Alors il organise un feu de grande ampleur

Fait brûler les garçons et violer leurs sœurs

La cité s’est éteinte, partout le peuple meurt

Et le pouvoir aussi, c’est la fin de la ville

Marc le roux est gentil, mais parfois il est vil

Ainsi va l’homme honnête, du bien jusqu’au mal

Sans jamais s’arrêter au milieu en escale

Telle est la tragédie de Marc qui est normal

Et ne peut se résoudre à prendre l’esprit mâle

Plutôt que la femelle –la seconde c’est

Le symbole évident de cet esprit qui sait

A peine distinguer les bonnes décisions

Des achats instinctifs, et honnit la raison

Les flammes de la ville dansent toujours au loin

Et les deux compagnons reprennent leur chemin

Il fait toujours sommeil, Paul veut que l’on s’arrête

« Je ne viens pas ce soir, vaincre ton corps ô bête ! »

Plagie-t-il à l’intention de la jolie fille

Qu’il dédaigne ce soir, car enfin, il roupille

La nuit est agitée, Marc le roux pense aux âmes

Des gens qu’il a fait tuer, et des plaintes des femmes

Tout ça le met en joie, il bouge, se retourne

Se marre en repensant aux clochards qu’on enfourne

Dans la machine à pain, il est pris d’un fou rire

Et réveille ainsi Paul, qui s’en va se nourrir

Des baies et des souris constituent son repas

Mais son insomnie dure, et ne s’en va donc pas

Il repense au passé, aux classes hellénistes

Aux alcools insondables, aux partis communistes

Cette jeunesse informe, est-elle donc partie ?

Sait-il où la trouver, ce savon décati ?

Si le voyage dure, il pourra la revoir

Car de ces aventures, il tirera savoir

Et jeunesse éternels, à courir en tous sens

Il jubile en secret, en dansant, presque en transe

Et revient se coucher, calmé par son astuce

Il s’endort aussitôt, bien que pris par les puces

Le lendemain matin, Marc le roux émergea

D’un bon sommeil, heureux comme un maharadjah

Et réveilla Paul aux yeux de café soluble

Fatigué par son faux problème irrésoluble

« Il te faut maintenant cueillir le creux du jour

Et te bouger le cul une fois pour toujours »

Ainsi parlait le roux au langage trop cru

Comme une religion prêchée par le Jésus

Où un autre prophète, qu’importe le nom ?

Tout magicien attend son morceau de renom

Ils cheminaient encore quand la neige enfin

Laissa la place à un beau paysage urbain

Qui sentait bon la pluie et le chat repassé

Et le béton, la brique et puis la fricassée

« C’est ici, mon ami, que nous quittons enfin

Ces bouseux illettrés qui ont toujours trop faim

Allons nous enquérir d’une bonne bidoche

Avec sur les genoux une fille pas trop moche »

La crudité sans limites de Marc le roux

Choquait abondamment Paul et son esprit doux

Il était né péon, et se sentait visé

Quand Marc disait « Les ploucs, faut les atomiser »

Il résolut enfin d’exprimer sa rancœur

Avec son long couteau, mais sans viser le cœur

« Voilà ce que les ploucs sont capables de faire ! »

Et l’inconnu frappé s’effondra, mort, par terre

Marc le roux frissonna devant le pauvre exemple

Et tut ses calomnies sur le chemin du temple

« Le temple ? Pourquoi faire ? » demanda Paul, alerte

« Prier l’âme des morts de la plaine déserte »

Marc mentait, le salaud, les morts l’ennuyaient trop

Mais il voulait piller et fuir par le métro

« Le culte c’est l’endroit où l’on trouve l’argent

Le métro c’est l’endroit où l’on trouve l’agent

Si ça rime c’est bien parce que c’est un peu vrai

Dieu met la vérité dans les beaux attifets

Alors allons voler les sous du p’tit Jésus »

Ainsi pensait le roux, mais il fut bien déçu

Car arrivé enfin à la porte d’église

Il vit que la maison, maintenant, oh, surprise !

S’était fait réformer et qu’alors, les richesses

On s’en balançait bien, on baisait les duchesses

Et la sexualité vaut toutes les dorures

L’idolâtre charnel était maintenant pur

Pieuse était la traînée, pieuse, elle qui s’exerce

A faire de sa personne un lucratif commerce

Paul aux yeux de café se trouvait peu actif

Depuis deux jours déjà qu’il se tapait le pif

De Marc le roux, sans cesse, du jour jusqu’au soir

Il arrivait enfin à ne plus le pouvoir

Regarder cinq minutes sans même une allergie

Alors il se lança dans une saine orgie

Marc le roux enrageait, le pactole était loin

Et cependant que Paul se reposait la main

Le savon qui bavarde pouvait être cueilli

Par un concurrent plus vif et plus aguerri

Car les diamants, l’argent, l’or et même le bronze

Les lamelles de chats, l’esprit repu des bonzes

Ces richesses en somme, Marc s’en moquait tout rond

Ce n’était qu’un moyen de trouver le savon

Et d’alléger les douleurs de ce long voyage

Et de se prémunir contre tous les naufrages

Ne jugeons pas encore l’âme de notre roux

Son véritable but est inconnu par nous.

Comme il savait l’escrime et la loi du pays

Marc mélangea le tout et sortit impuni

Du massacre sanglant qui souilla cette église

-« Les vieux ça fait trois points » telle était sa devise-

Et les deux compagnons repartis pour de bon

Négocièrent au passage quelques jolis jambons

La maitrise de Marc des ressors judiciaires

Est aussi surprenante qu’elle est légendaire

Et les gentils lapins qui courent les rivières

Et les chats ondulés qui sortent des gouttières

Virent partir au loin deux hommes immunisés

La tête fière et l’âme pas mal anisée."

 

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