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Le Pont des amants de l'amant
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10 mai 2011

Shylock Holmes

 

En 1983, las de créer pour une « élite qui se délite », Bann se lance dans une série de romans visant « le grand publique pubique », en reprenant le fameux personnage du détective de Baker Street créé par Sir Conan Doyle. Cependant, ne pouvant s’empêcher d’y ajouter sa « pâte », Bann décide de faire rencontrer cette illustre figure de la littérature anglaise avec une autre figure, certes moins illustre, mais fort complexe, à savoir Shylock l’usurier juif du Marchand de Venise.

Le mélange donne naissance à Shylock Holmes, détective usurier dont les aventures sont caractérisées par la difficulté qu’a le héros à concilier sa recherche de la justice et son intérêt personnel.

Ce conflit d’intérêt fait toute la saveur de ces romans policiers dont l’issue est constamment incertaine : que choisira Shylock Holmes ? Accompagné par son acolyte de toujours, le Dr Wattstein (qui est également rabbin), Shylock Holmes tente de faire la part des choses avec toute la dimension morale que cela implique.

 Bann, au cours des 5 tomes qui constituent la série, multiplie les cas de figures :

Dans le premier, Les aventures de Shylock Holmes, le meurtre d’un débiteur de Shylock Holmes pousse ce dernier à vouloir trouver l’assassin afin de lui faire rembourser la dette de sa victime.

Cependant dès le second tome, Shylock Holmes ne perd jamais (d’argent), l’intrigue se complique : après une série de meurtres mystérieux, Shylock Holmes et le Dr Wattstein tentent de trouver l’assassin…qui s’avère finalement être l’un des débiteurs de Holmes : doit-il l’arrêter et faire triompher la justice ? Ou bien doit-il récupérer son dû, quitte à laisser un coupable en liberté ? Ce terrible dilemme donne lieu à une fin magistrale que je ne veux pas risquer de vous dévoiler.

Le troisième tome, Shylock contre Holmes, ou la livre de chair (mon préféré), s’inspire directement du Marchand de Venise. Un terrible meurtre ébranle Londres : un jeune homme a été retrouvé mort dans d’horribles conditions, une partie de son ventre ayant été soigneusement ôtée. Scotland Yard est en émoi, Shylock Holmes est sur l’affaire. Ses investigations, à force de patience et de persévérance, le conduisent finalement sur la piste d’un autre usurier, qui finit par avouer son crime à Shylock : il avait prêté au jeune homme 2000£, et ce dernier certain de pouvoir le rembourser, avait signé un contrat autorisant son créancier à pouvoir lui prélever une livre de chair en cas de défaut de paiement.  Le jeune homme n’ayant pu rembourser sa dette arrivée à échéance, l’usurier a prélevé ni plus ni moins que ce qu’il lui devait.

Shylock Holmes est alors une nouvelle fois face à un dilemme, qui est cette fois d’ordre moral : doit-il faire arrêter un homme qui n’a fait qu’honorer sa parole et récupérer ce qui lui était dû ? Ou bien, en tant qu’usurier lui-même, doit-il faire preuve d’abnégation (en renonçant à toucher la prime) et laisser s’échapper un meurtrier, tout homme d’honneur qu’il soit ?

 

La série des Shylock Holmes valut à Bann de nombreuses critiques et il fut taxé d’antisémitisme à cause des représentations jugées clichées de la communauté juive qui se trouvaient dans ses romans (le fameux « Elémentaire mon cher Wattson » est remplacé par un « La vérité, j’te jure, rabbi Wattstein  » qui n’a pas fait l’unanimité).

 

Bann s’en défendit dans la préface du quatrième tome, Shylock Holmes contre Mac Grebbin :

 

« Il faut n’avoir rien compris à Shylock pour penser qu’il est une représentation antisémite. Il s’agit d’un personnage complexe, torturé par le devoir et la morale d’une part, et par l’honneur et le profit d’autre part. Deux formes de justices s’affrontent en lui : la justice personnelle de la Loi du Talion, et la Justice aveugle et objective, garante de l’équilibre de la société. Shylock marque l’entrée de l’individu dans la modernité de la société industrielle, où le Capital fait son apparition, et où la société de consommation trouve ses racines. Encore bien ancré dans un système de pensée traditionnelle, Shylock est pourtant au service d’une société qui s’avère, elle, antisémite. Figure presque tragique, il est l’éternel insatisfait, ne trouvant satiété ni dans l’argent, ni dans ses enquêtes. Et puis faut dire qu’il a la classe ce youpin (ou plutôt youpingre, comme je me plais à dire), non ? »

 

Cette dernière phrase valut à Bann une condamnation, et précipita la fin de la série qui devait pourtant compter initialement plus d’une dizaine de tomes.

 

Bann sortit tout de même un cinquième tome, qui tomba dans l’oubli pour cause d’une intrigue jugée trop complexe : pour résumer, suite à un premier meurtre, l’assassin a emprunté à Shylock Holmes 3500£ à 5,5% payables dans un délai de 4 mois, qui lui ont servi entre autres à acheter l’arme du crime au prix de 1750£ (mais qu’il a ensuite revendue 2500£), sauf qu’il est lui-même créancier de Wattstein, qui ne voulait pas emprunter à Shylock pour payer la bar-mitsvah de son fils, et qui est donc débiteur de plus de 5000£ à 4,5% dans un délai de 3 mois. Wattstein tente donc de convaincre Shylock d’arrêter l’assassin pour échapper à sa dette, sauf que Shylock lui-même veut récupérer son argent avec les intérêts qui lui sont dus, ce qui pousse Wattstein à élaborer un plan pour éliminer son créancier, que Shylock essaye paradoxalement de protéger en attendant d’être payé.

 

La série des aventures de Shylock Holmes, si elle n’est pas l’une des œuvres majeures de Bann, me semble intéressante dans la manière qu’elle a de combiner des situations éthiques avec des intrigues policières solides. Je vous invite donc à vous les procurer pour passer un bon moment de suspense !

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